Une brève histoire des châteaux d’eau en France

Leur histoire avance en parallèle des progrès humains et y participe avec discrétion.
Leurs silhouettes se fondent dans le paysage et nous ne les voyons plus malgré leur importance capitale.

SOMMAIRE :
Comment fonctionne un château d’eau ?
Un château d’eau ? Petit historique
Quelle architecture ?
Architectes et ingénieurs
Quelle silhouette ?
Conclusion

Le château d’eau est invisible.
Pourtant la France est le seul pays à appeler « château » d’eau ce que les autres pays appellent « tour » d’eau.
Malgré cette dénomination flatteuse, l’édifice n’en demeure pas moins un oublié de notre conscience environnementale.

À droite, Château d’eau de Corlay (Côtes-d’Armor), photo Eudes Ajot ©

Un bouchon de champagne qui se couvre de végétation est sans doute l’image qui est associée pour beaucoup de personne au château d’eau.
Pourtant la réalité est tout autre et le monde des châteaux d’eau est étroitement lié à l’histoire ancienne et contemporaine de notre pays.

Comment fonctionne un château d’eau ?

Techniquement et brièvement, un château d’eau se compose d’une cuve soutenue par un fut.

Par l’intermédiaire d’une pompe, l’eau captée par un forage (source naturelle, réseau de châteaux d’eau, etc..) est envoyée dans la conduite d’amenée. La pompe est tout d’abord actionnée par une éolienne avant d’être remplacée par un moteur à vapeur puis un moteur électrique.

La conduite de distribution prend l’eau dans le bas de la cuve qui descend par gravitation naturelle.

Le château d’eau est d’une certaine façon le témoin des avancées techniques de son temps mais aussi des modes. 

Schéma du fonctionnement d’un château d’eau,
dessin Guy Boutron ©

Des éoliennes Bollée, qui sont des pompes à vent, permettaient au tout début de l’érection des châteaux d’eau d’amener l’eau jusqu’à la cuve. Puis peu à peu, avec l’arrivée de l’électricité, ces éoliennes sont remplacées par des moteurs, moins onéreux et moins fragiles.

Des calculs précis ayant pour finalité un débit d’approvisionnement correct et régulier des foyers et entreprises, prennent en compte la taille de la cuve, la hauteur du château d’eau, sa localisation (souvent installé sur une hauteur), les diamètres des différentes canalisations.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée

Peu d’éoliennes existent encore sur des châteaux d’eau. Ces moteurs à vent, imposants et fragiles, sont les premiers moyens techniques utilisés comme ici à Potigny dans le Calvados, pour remplir les réservoirs. Ils ont été remplacés par des moteurs électriques plus fiables et solides dès que cela a été possible.

Un château d’eau ? Petit historique

« Le cycle de l’eau et le cycle de la vie ne font qu’un » a écrit le commandant Cousteau.
Ce constat exprimé au XXe siècle n’était pas nouveau et avait inspiré dès l’Antiquité aqueducs, fontaines, réservoirs et châteaux d’eau.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée

L’ancêtre romain du château d’eau, le castellum divisorium
(ici à Nîmes), dont la technique, adaptée, reste la même,
deux millénaires après : l’eau arrive dans une cuve puis est répartie grâce à des collecteurs.

Ces derniers, dits castellum divisorium, recueillaient l’eau captée à une source, puis véhiculée par l’aqueduc pour la diriger ensuite dans différentes directions. C’est ce nom originel qui, décliné, donnera en France le « château » d’eau.

Même les italiens qui sont les héritiers directs du latin parlent de tour d’eau

L’organisation romaine et ses infrastructures dépérissent en même temps que l’Empire s’effondre et le château d’eau disparaît pour ne renaître vraiment qu’au XIXe siècle.

Le château d’eau va au XIXe siècle accompagner tous les progrès, toutes les mutations sociétales.

L’exode rural qui amène de nombreuses personnes dans les villes ainsi qu’un essor démographique créent des besoins et parmi ceux-ci, une nécessité croissante en eau pour la vie quotidienne.

Car ce siècle voit en parallèle se développer un nouveau courant de pensée, l’hygiénisme, grâce à la Société royale de médecine. La salubrité, préconisée par des esprits éclairés, implique une hygiène publique que l’on rend accessible à chacun grâce à la création des bains publics alors que les salles de bain se multiplient chez les particuliers aisés. Les fontaines alimentées par des sources plus ou moins constantes ne suffisent plus, des réservoirs et des châteaux d’eau sont nécessaires.

Une des composantes de la révolution industrielle qui déferle sur le monde dans la première partie du XIXe siècle est, sinon l’invention, du moins l’impressionnant développement du chemin de fer à partir de 1840 où on a pu parler de « boom » ferroviaire et particulièrement entre 1848 et 1914.

Les trains sont tractés par des locomotives à vapeur qui nécessitent des châteaux d’eau auprès des voies, pour les alimenter. C’est la raison pour laquelle on trouve encore des châteaux d’eau à proximité des gares.

Les toutes premières constructions se présentent généralement sous la forme d’une colonne dont le fut est construit en pierre ou en brique selon la région où elles sont élevées, la cuve étant métallique.

Ce sont ces constructions souvent de taille modeste, désaffectées, que l’on peut surtout encore voir le long des lignes de chemin de fer.



Le château d’eau de Dives-sur-Mer (Calvados)
Photo Christine Boutron ©

Développement du chemin de fer en France 
RMC Découverte ©

Cette possibilité qu’offrent les châteaux d’eau de stocker de grandes quantités d’eau fournit à certaines structures une indépendance et une sécurité opportunes.

  • Les ensembles hospitaliers,
  • les usines,
  • les casernes,
  • les écoles professionnelles,
  • les établissements pénitentiaires,
  • certains particuliers n’hésitent pas à faire édifier sur leurs domaines ces réserves d’eau.

Le sanatorium de Villepinte en Seine-Saint-Denis (ancien département de Seine-et-Oise) est le premier établissement construit en France en 1880 et exclusivement destiné aux phtisiques (tuberculoses pulmonaires).

La tuberculose sous toutes ses formes, surnommée la peste blanche, est un fléau mortel du XIXe et du XXe siècle jusqu’aux environs des années 1950 où les antibiotiques apportent une solution efficace.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée
À Villepinte, les deux châteaux d’eau sont nommés tours d’eau, ce qui est très rare en France.

Les usines s’équipent aussi de châteaux d’eau utiles au fonctionnement quotidien et éventuellement salvateurs en cas d’incendie, spécialement sur des sites sensibles comme l’usine à gaz de Marmande dans le Lot-et-Garonne.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée

Comme dans la grande majorité des camps militaires, le camp de Bourg-Lastic dans le Puy-de-Dôme dispose de son propre réservoir d’eau : des châteaux d’eau jumelés dont les cuves métalliques sont protégées des hivers rigoureux d’Auvergne, ici à presque 1000m d’altitude.

Les établissements d’enseignements professionnels bénéficiaient généralement de leur propre château d’eau a fortiori les écoles d’horticulture comme celle de Vierzon dans le Cher.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée

L’imposant centre pénitentiaire de Fresnes dans le Val-de-Marne (autrefois département de la Seine) bénéficiait aussi de châteaux d’eau jumelés détruits depuis, conçus comme des tours de château moyenâgeuses, dans l’esprit du lieu.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée

Les châteaux d’eau sont partout.

La France se couvre de châteaux d’eau de façon un peu semblable sans doute, toutes proportions gardées, à ce « blanc manteau d’églises » de l’an mil dont Georges Duby recouvrait le royaume de France : tout d’abord à l’entre-deux guerres puis dans les années 60. Puis peu à peu le rythme diminue avant que tout récemment apparaissent des remplacements d’édifices vétustes et des créations.

Quelle architecture ?

Le château d’eau est avant tout utile.
Le choix de la localisation est technique.

Des problèmes esthétiques qui se poseraient et se posent parfois aujourd’hui sur ces édifications anciennes ne semblent pas avoir existé à l’époque : château d’eau trop près des habitations voire au milieu du village, nuisant à l’environnement historique…

Le château d’eau de Neufchâteau dans les Vosges ressemble à une tour médiévale avec ses créneaux et ses merlons. Le château d’eau est dans la cour de l’ancien château.  Nous sommes en 1936.

En 1954, de (nouvelles) dégradations causent cette fois des dégâts sur des maisons voisines. Il est finalement désaffecté en 1964.





Château d’eau de Neufchâteau (Vosges), photo Jean-Pierre Begel ©

Mais son devenir est incertain. Les habitants sont divisés. Certains veulent le conserver au titre de l’histoire de la ville. D’autres exigent une démolition car sa silhouette moyenâgeuse auprès de l’église Saint-Nicolas induirait les visiteurs en erreur sur son lien avec le château préexistant et nuirait à l’esthétique du paysage urbain.

Jusqu’en 1943, aucun permis de construire n’était nécessaire pour édifier un bâtiment. Les châteaux d’eau ne faisaient pas exception à la règle. Aussi, architectes et ingénieurs étaient-ils sollicités directement par les villes, villages, ministères, entreprises, particuliers, structures diverses qui décidaient de construire un château d’eau.

Plaque d’entreprise (Château d’eau de Blois, Loir-et-Cher), photo Christine Boutron ©

Jusqu’en 1943, un château d’eau n’est pas un travail d’architecte mais une réalisation d’entrepreneur ; l’architecte collabore. Les rôles s’inverseront ensuite.

A l’entre-deux guerres, âge d’or des châteaux d’eau, les recherches, améliorations, inventions et dépôts de brevets autour du ciment et du béton armés se succèdent.

De nombreux édifices dont les châteaux d’eau bénéficient de ces avancées qui offrent des perspectives techniques inespérées.



Le château d’eau (1870) de Joseph Monier
à Pontorson (La Manche).
Photo Patrice Fraboulet ©

Grâce à son ciment armé, on peut construire ces édifices au décor très en vogue sous Napoléon III

Architectes et ingénieurs

  • Joseph Monier (1823-1906), inventeur du ciment armé,
  • François Coignet (1841-1888), pionnier du béton armé et de la préfabrication en France.
  • François Hennebique (1842-1921) remplace le ciment armé par du béton armé dans les constructions,
  • Eugène Freyssinet (1879-1962) inventeur du béton précontraint en 1928,
  • Auguste Perret (1874-1954) auquel on doit en 1948 le château d’eau de Saclay (Essonne). Il est considéré comme père de l’architecture moderne

Ils sont, parmi d’autres, des personnages clefs qui ouvrent la porte à des audaces techniques permettant d’imaginer des stockages d’eau plus importants, dans des cuves en ciment et non plus en métal.

Jean-Jacques Jumel-Riquier, architecte de la ville d’Amiens (Somme) réalise en 1751 le château d’eau.

René Hode, architecte angevin (1811-1874), est connu pour la construction du château de Challain-la-Potherie (Maine-et-Loire) et de la tour dite de « Montplaisir  » avec son réservoir au sommet.





photo Christine Boutron ©

Georges Baustert architecte de la ville de Saintes, réalise en 1907 le château d’eau de Mortagne-sur-Gironde (Charente-Maritime), ci-dessous.

Carte postale, début du XXe siècle, collection privée

Le château de Podensac construit en 1917 par Le Corbusier, qui n’était encore que Charles Édouard Jeanneret, est héritier de ces pionniers puisqu’il s’agit de son premier travail en béton armé, réalisé d’ailleurs pour un propriétaire privé.




Photo Henry SALOMÉ ©

C’est ainsi qu’avant l’obligation préalable (1943) d’un projet d’architecte, on retrouve des entreprises qui se spécialisent dans la construction de ces édifices particuliers en ciment armé :

  • H. Chassin et fils, 151, rue de Bagnolet à Paris
  • Demay et Frères, 13, rue Paul-Doumer à Reims,
  • Ets Brisset et Sanua, 55, rue de Bagnolet à Paris,
  • Entreprise Larbanet, 54, rue Carnot à Suresnes.

Les images conservées de ces constructions nous offrent par ailleurs des prouesses d’échafaudages en bois dont les ouvriers sont à juste titre très fiers mais qu’aucune commission de sécurité ne tolèrerait aujourd’hui.




Photo, début du XXe siècle, collection privée

Des réalisations adoptant les progrès initiés à l’entre-deux guerres et toujours améliorés, ont été adoptées après la seconde guerre dans des créations de plus en plus aériennes à Marmande (1949), Bouhy (1953), Caen (1957), Hérouville (1963), …

Quelle silhouette ?

Il est incontestable que certains ingénieurs et architectes ont fait l’effort de construire utile bien sûr mais aussi esthétique : mettre en valeur, intégrer ou dissimuler.

Quelques types de châteaux d’eau ont naturellement pu être répertoriés, fruits de critères techniques et/ou esthétiques.

Ainsi, les châteaux d’eau construits selon le principe « Hennebique » se reconnaissent à leur silhouette au fût ajouré très caractéristique.

On parle aussi de « bouchons de champagne », de « chanterelles », de « champignons », de « colonnes », « à ailerons »,.. . Mais tant d’autres échappent à toute classification.

Puis de nombreux « bouchons de champagne » se répandent dans le paysage, à l’exception, souvent, des régions montagneuses.

Celles-ci adoptent plutôt les réservoirs enterrés (ou semi enterrés) conservant l’eau à l’abri du gel et qui, installés de façon judicieuse sur les hauteurs bénéficient de sources proches au débit régulier et d’une gravitation naturelle pour la distribution de l’eau.


Château d’eau de Marolles-sous-Lignières (Aube), photo Christine Boutron ©

Peu après la seconde guerre, des projets d’élèves de l’École spéciale d’Architecture de Paris recevaient comme consigne esthétique de lutter contre la silhouette en champignon qui « dépare maint paysage et maint site urbain » 

À Blois dans le Loir-et-Cher, les édifices jumeaux sont bâtis comme deux tours du château de la ville afin de s’intégrer dans l’environnement historique, même si le centre historique est loin.



Photo Christine Boutron ©

À Saint-Just-La-Pendue dans la Loire, l’église construite de 1850 à 1852 par l’architecte Bonnard abrite un château d’eau dans le clocher, bâti en 1928 par l’architecte Cornu.

Photo Roannais-toursime.com ©

L’est de la France a gardé l’empreinte de l’occupation germanique avec des constructions colossales : Sélestat dans le Bas-Rhin, Metz en Moselle ou Colmar dans le Haut-Rhin par exemple.

Le château d’eau de Houdan dans les Yvelines a longtemps utilisé une tour médiévale de la ville pour y installer un réservoir d’eau en 1880.





Photo Wikipédia

Conclusion

Lorsque les projets sont devenus l’apanage des architectes, des réalisations particulièrement originales et audacieuses ont vu et voient encore le jour.

Les progrès techniques quasi permanents rendent possibles des créations d’impressionnants « monuments » d’eau de grande capacité volontairement visibles tels des phares dans le paysage. Les châteaux d’eau ne se cachent plus et disparaissent moins dans l’indifférence.