Le château d’eau de Neufchâteau dans les Vosges, Au gré des aléas sociaux et économiques de l’Histoire
Le 9 septembre 1936, le Maire, Didier Henry, soumet à son Conseil municipal de Neufchâteau les différents projets proposés pour la construction d’un château d’eau dans les hauts quartiers de la ville.
Cette décision prend en compte un constat qui n’est pas nouveau : la distribution d’eau de la ville est ancienne, elle fonctionne par gravitation de deux sources (« Bricard » et « Courteville ») qui se déversent dans des réservoirs enterrés insuffisants désormais. Afin de compléter l’apport de ces deux sources, l’eau de « La Mazarine », intarissable, est pompée. Mais cela ne parvient pas à satisfaire les besoins d’hygiène et de confort des quartiers hauts dont certaines maisons ne sont même pas encore raccordées au réseau d’eau, alors que d’autres le sont mal ou sporadiquement.
La municipalité décide donc de construire au point culminant de la ville un château d’eau surélevé muni des machines élévatoires nécessaires.
L’acquisition du terrain semble se faire sans difficulté. Charles Martin et Camille Lenoir son épouse cèdent à la ville le terrain nécessaire. Monsieur Martin, sans nul doute convaincu de la nécessité de cette édification, s’offre même de céder gracieusement une petite bande de terrain supplémentaire si le besoin l’exigeait. Cet espace, somme toute modeste (66 mètres carrés 93 décimètres carrés) et offrant juste la surface d’édification du château d’eau est pris sur le terrain de l’ancien château de Neufchâteau. Est-ce pour cette raison que le vendeur fait inclure dans l’acte de vente « le château d’eau devra être ornementé ».
C’est ainsi que les différents projets proposés s’inspirent de tours de châteaux que Viollet-Le-Duc n’aurait pas reniés. Le Conseil en précise même les raisons : « pour respecter le cadre du lieu et l’harmonie du site, attendu que ce château d’eau dominera l’agglomération et sera vu de toutes parts, il sera construit en respectant le caractère moyenâgeux ».
C’est l’entreprise Demay de Reims (Société anonyme Le Ciment Armé Demay Frères) qui est choisie, à l’occasion de ce Conseil municipal du 9 septembre 1936.
Un copieux contrat très précisément détaillé lie la ville de Neufchâteau à l’entreprise Demay : technique, administratif, financier, …
Ce contrat est rédigé à l’automne 1936. La crise économique est là. La loi sur la semaine de 40 heures votée quelques mois auparavant peine à s’appliquer spontanément. L’entreprise Demay a remporté le marché, « ce constructeur promettant de faire un rabais de neuf (9) pour cent dans le cas où la semaine de 40 heures ne serait pas appliquée aux entreprises du bâtiment avant l’achèvement des travaux », lit-on dans le compte-rendu du Conseil municipal. Le principe semble avoir été l’objet de « longues discussions » avant d’être adopté. Le nerf de la guerre remporte toujours la victoire.
Au fil des 27 pages de ce mémoire, se laissent entrevoir les difficultés économiques que rencontre le pays et les solutions mises en place pour tenter d’y remédier.
Il est fait référence dans l’article 42 aux arrêtés du Ministre du Travail des 9 et 26 juillet, 18 et 19 septembre 1934, relatifs à l’exécution des grands travaux contre le chômage auxquels l’entrepreneur devra se soumettre. Il est aussi pris en compte le cas des ouvriers d’« aptitude restreinte ». L’article 43 rappelle que l’entrepreneur doit prioritairement embaucher les chômeurs de la localité et l’article 44 que le nombre de travailleur étrangers est limité. Enfin, l’article 46 précise que sauf exception dûment argumentée les matériaux « devront avoir été extraits ou produits en France, en Algérie, dans les colonies françaises, les pays de protectorat ou les territoires sous mandat ».
10 ans après sa construction, le château d’eau de Neufchâteau montre déjà des signes de dégradation. Nous sommes en 1946 mais la seconde guerre mondiale n’est en rien responsable des désordres que le Maire de la ville décrit ainsi : « les enduits extérieurs protégeant la cuve du réservoir aérien (…) se détériorent par désagrégation, laissant apparaître la brique de la paroi de revêtement extérieur isolatrice qui elle-même s’abime ».
L’entreprise Demay, dans le cadre de sa garantie décennale, s’engage à réaliser les travaux de réparation. Mais au sortir du conflit, elle rencontre de multiples difficultés.
A sa recherche de briques creuses, le responsable de la tuilerie de Jeandelaincourt et de l’usine de Champigneulles répond : « (…) nous vous informons que nos usines de Jeandelaincourt ont été complètement détruites au cours des opérations militaires d’octobre 1944 et qu’elles ne sont pas encore près d’être reconstruites. Quant à notre établissement de Champigneulles, qui lui est intact, il ne fabrique plus pour l’instant de briques creuses… ».
L’entreprise de maçonnerie et de travaux publics Georges Bonnet à Neufchâteau revient sur son accord : « Contrairement à notre accord pour la restauration de l’extérieur de la cuve (…) je suis au regret de vous informer que je ne peux m’occuper de ces travaux, mes ouvriers ne veulent pas exécuter ces travaux n’ayant pas l’habitude des hauteurs disent-ils. Maintenant il faut compter avec la volonté des ouvriers ».
Le maire doit donc se résoudre à faire appel au Préfet le 1er août 1946, seul recours dans ces temps où les difficultés d’approvisionnement sont énormes et nécessitent une organisation nationale rigoureuse. Le 16 septembre, une réponse lui parvient directement du Ministère de l’Intérieur : « Les 30 K° de monnaie matière pour grillage métallique et les 800 K° de ciment ont été enregistrés par le service central des approvisionnements en matériaux et il y sera donné satisfaction dans la mesure de ses possibilités. En ce qui concerne les briques, la vente en ayant été rendue libre jusqu’à concurrence de 40 tonnes pour un même chantier, il suffit de vous adresser à vos fournisseurs habituels (…). ».
Il semble que l’entreprise Demay n’ait plus rencontré de difficultés dans sa recherche de matériaux et n’ait pas eu besoin de «saisir Monsieur le Répartiteur de la Section des Matériaux, 78 rue de l’Université à Paris »
La restauration a donc lieu en 1947, l’entreprise évoquant les soucis éventuels de logement pour 2 ou 3 ouvriers.
Mais le château d’eau va à nouveau montrer des signes de faiblesse. En 1954, on parle d’un dédommagement d’un voisin pour donner suite à une chute de crépi ayant endommagé la toiture de son immeuble.
En 1961, le Maire de la ville signale à la Compagnie des Eaux et de l’Ozone, responsable de l’édifice que le crépi se désagrège « à nouveau ».
Finalement, en octobre 1964, le château d’eau est désaffecté. S’ensuivent des négociations sans suite entre la ville et la Compagnie des Eaux et de l’Ozone pour un démantèlement.
Aujourd’hui, le château d’eau est propriété de la ville de Neufchâteau et elle divise les Néocastriens. Certains souhaitent le détruire car il nuirait à l’esthétique de la ville. D’autres souhaitent le conserver comme témoin d’un temps d’histoire de la ville, sa silhouette étant désormais attachée à celle de la cité.
Alliant patrimoine et nature, le château d’eau abrite actuellement des effraies de clochers et des faucons pèlerins surveillés par la LOANA (Lorraine Association Nature).
Alliant patrimoine et nature, le château d’eau abrite actuellement des effraies de clochers et des faucons pèlerins surveillés par la LOANA (Lorraine Association Nature).
Outre sa silhouette si particulière, le château d’eau de Neufchâteau est, malgré sa courte vie, un témoin voire une victime que l’on qualifierait aujourd’hui de collatérale, des aléas de l’Histoire : victoires sociales ou réorganisation d’après-guerre.
Sources: archives municipales de la ville de Neufchâteau
Crédit photographique: Association les Châteaux d’eau de France