Jérémie Duprey, un regard d’artiste sur les châteaux d’eau
La rencontre entre les artistes et les châteaux d’eau s’est faite il y a maintenant plusieurs années. Les premiers se sont appropriés les volumes et les surfaces si particulières des seconds, les ont explorées pour faire d’un élément du patrimoine industriel un amer culturel, touristique ou publicitaire.
Antiquaire Versailles
crédit photo Jérémie Duprey
Voilà un premier « type » de rencontre. Mais il en est encore un autre que l’artiste Jérémie Duprey a développé.
Depuis sa plus tendre enfance, Jérémie Duprey habite Neauphle-le-Château dans les Yvelines. C’est alors une petite ville de 2000 habitants, installée sur une butte rocheuse. Au centre de la commune au sommet de la butte : la mairie, l’église. Mais aussi l’école installée au pied du château d’eau que l’on a construit, gravité pour la distribution de l’eau oblige, au point culminant de la ville.
Le château d’eau est donc là, image du quotidien, sans réellement qu’on se rende compte de son existence tant il fait partie du paysage. Il tient sa place dans la skyline de Neauphle-le-Château, mais en a-t-on bien conscience ?
Pour Jérémie Duprey, ce château d’eau malgré sa forme bien classique pour ce genre d’édifice mais qui ne ressemble à aucun autre bâtiment de la ville, est aussi pour lui une porte vers un monde imaginaire de science-fiction. Il lui paraît planté là tel un monolithe « venu d’ailleurs ».
Et puis un jour la mairie décide de détruire le château d’eau devenu inutile. Sans consultation, sans enquête publique. Des protestations s’élèvent pour le maintient de ce bâtiment qui a désormais gagné sa place dans le patrimoine de la ville.
Deux incompréhensions se font face.
D’un côté la mairie qui s’étonne qu’un élément d’architecture utilitaire désormais obsolète qui n’est ni un château ni une église puisse avoir une autre destination qu’une destruction. Le bulletin municipal « Quoi de Neauphle » n°27 d’octobre 2019 parle « de ce monument qui n’en était pas un au sens strict ». On jette bien un objet usagé.
De l’autre côté, les partisans du patrimoine de la ville. De tout le patrimoine, même de celui qui n’est pas historique mais qui fait mémoire de l’histoire discrète de l’évolution des techniques au service du fonctionnement des usines (dont Grand Marnier). ou du confort des habitants. Un habitant cité dans ce même bulletin demandait : … un peu de respect pour notre château d’eau qui a été d’une grande utilité à un moment donné pour la ville, et qui est devenu au fil des ans un monument emblématique de celle-ci au même titre que son clocher »
Ce sont les pragmatiques qui gagnent. Et malgré l’intervention de l’Association Les Châteaux d’Eau de France, l’édifice est détruit en 2019. Il n’était plus opérationnel depuis 2015. Il avait 79 ans.
Un mal pour un bien ? Jérémie Duprey qui a toujours été fasciné par les châteaux d’eau décide d’exploiter « cette présence dans l’absence ». Mêlant souvenir nostalgique et création il conçoit ce qu’il a nommé « une série ».
© Parution Elle Déco n°254 30 ans collector,
collection personnelle
crédit photo : Jérôme Galland
Une exploration, un examen approfondi de la galerie photographique de l’association riche de quelques 13 000 photos, familiarise l’artiste avec les différentes formes de châteaux d’eau. Il peut alors revisiter les formes pour les travailler, les épurer, en sublimer les lignes, en concentrer l’essentiel pour offrir au regard un objet qui n’est pas une copie servile, précise et réduite d’un marqueur de notre environnement mais un élément nouveau qui se détache doucement de son modèle pour vivre sa vie propre.
bâtiments avec comme arguments principaux l’équilibre des formes et l’harmonie. Non que les châteaux d’eau aient été construits par les ingénieurs puis les architectes sans recherche dans la conception architecturale a fortiori plus on s’avance dans le temps. De magnifiques constructions contemporaines s’élèvent maintenant dans notre paysage. Mais l’utile à longtemps pris le pas sur le beau en des temps où des pionniers mettaient en œuvre des matériaux et des techniques qui devaient encore faire leurs preuves.
Quatre silhouettes dans l’atelier de Jérémie Duprey posées sagement sur une étagère attirent d’emblée le regard. Une belle unité de formes. Comme des silhouettes à contrejour. Parfaites. Oui incontestablement, nous parlons de châteaux d’eau. Pour l’inspiration.
© crédit photo Nadine Berthelier
Le regard puis la main glissent sur ces surfaces lisses et douces d’un gris couleur de ciel d’orage. La vue et le toucher se rejoignent sur cette douceur sans obstacle. Le château d’eau est loin.
set design Paola Pastorini
crédit photo : Thomas Pagani
crédit photo : Jérôme Galland
Techniquement, ces jolis objets sont en moyenne 25 fois plus petits que leurs modèles. Ils sont pour ceux qui les admirent des vases et pour d’autres des éléments de décorations dont les lignes épurées sont intemporelles et ajoutent une note de sérénité dans un intérieur. Ces objets sont ce que nous voulons en faire. L’artiste ouvre la porte, à nous de poursuivre notre propre voyage.
Parlons technique justement. Des prototypes en plâtre, des moules en silicones et des épreuves en béton urbain blanc à teinter vernis ou non qui se perfectionnent au fur à mesure des essais. Voilà le mystère levé. Il en ressort quatre archétypes, une série qui attire le regard de professionnels de la décoration et du monde de l’art.
© crédit photo Nadine Berthelier
En effet :
- Elle déco dans son n° 254, spécial 30 ans
- l’entreprise danoise de design contemporain Carl Hansen & Son
- le designer MDF Italia
- FLOU
- Antiquaires à Versailles
ne s’y sont pas trompés et les châteaux d’eau de Jérémie Duprey prennent la pose et tiennent leur place parmi d’autres belles créations de design contemporain européen.
Une belle rencontre, une belle découverte et un regard que seul un artiste peut avoir sur ce qui est, à l’origine, une construction utilitaire classifiée dans le patrimoine industriel pour le transformer en œuvre d’art intemporelle.
set design Paola Pastorini
crédit photo : Thomas Pagani
set design Paola Pastorini
crédit photo : Thomas Pagani